FASe - Rapport Annuel 2017

RAPPORT ANNUEL 2017, ANALYSE 26 RAPPORT ANNUEL 2017, ANALYSE 27 VOUS TRAVAILLEZ À MEYRIN DEPUIS 9 ANS. QU’EST-CE QUI EST SPÉCIFIQUE DANS CETTE RÉGION AU NIVEAU SOCIAL? Yves Mesot : A la base, Meyrin était un village comme un autre, mais la commune a accueilli le CERN, l’aéroport et une zone industrielle, ce qui a bouleversé son destin. Quand je suis ar- rivé, je me suis tout de suite senti bien ici. La Cité de Meyrin a été réalisée avec un vrai génie architectural. La commune, qui bénéficie des ressources financières liées à ces entreprises, a misé sur l’associatif. Quant à la Maison Vau- dagne, elle fait partie du vécu d’une large portion d’habitant-e-s de Meyrin. On croise ici des fils ou des filles d’ingénieurs du CERN ou des gens issus de classes défavorisées. C’est une chance. FACE À CES PUBLICS DE DIFFÉRENTS HORIZONS, QUEL EST LE RÔLE DE L’ANIMATION? Nous avons comme mission de lancer des ponts entre les gens afin que tout le monde se sente reconnu. La maison est une sorte de place du mar- ché où nous faisons en sorte que des rencontres se passent, qui n’auraient d’ailleurs pas forcé- ment lieu ailleurs. C’est ainsi qu’on se construit. POUR VOUS, QUEL EST LE FONDEMENT DE L’ANIMATION SOCIOCULTURELLE? Je proviens du Mouvement de l’éducation popu- laire, où je milite. Pour moi, l’animation est for- cément politique, tout simplement parce qu’un salarié précaire n’est pas égal face à un action- naire. L’actionnaire est plus riche, mais il possède aussi dix fois plus de mots qu’une personne du monde populaire. Dans le contexte actuel, où l’ascenseur social redescend et où la compéti- tion entre les individus est féroce, le métier de l’animation devient plus nécessaire que jamais. L’animation doit ramener la dimension commu- nautaire, relier les gens. Car pour être complet, il faut «appartenir ». COMMENT EST-CE QUE CETTE VISION S’APPLIQUE DANS L’ACCUEIL DU PUBLIC? Cela peut consister à dire à un gamin de 6 ans que le centre de Genève, c’est aussi sa ville. De fait, certains ados y descendent rarement. Or, plus une personne est pauvre culturellement, plus elle vit dans son pré-carré. Donc les gens pauvres constituent ma cible principale. Cepen- dant, nous avons besoin ici de tout le monde, donc du fils de l’ingénieur, pour éviter le ghetto. Dans cet espace, la personne qui est pauvre de- vient quelqu’un. Elle n’est plus un concept et on ne pourra plus dire les mêmes choses à son sujet après l’avoir rencontrée. Pareillement, si une jeune fille africaine vient ici, et qu’elle voit une autre personne métissée, elle comprend que ce lieu lui est ouvert. Jeune, j’ai entrainé dans des clubs de foot, c’était pareil. La différence, c’est que l’animateur est conscient des processus en jeu. VOUS ÉVOQUEZ LA PAUVRETÉ. QUELLE EST-ELLE À MEYRIN? COMMENT SE MANIFESTE-T-ELLE À LA MAISON VAUDAGNE? Il y a deux types de pauvreté. Les migrants font certes face à des problèmes économiques, mais ils sont souvent issus de la classe moyenne de leur propre pays, ils ont fait des études, possèdent un réseau de contacts, etc. Or la cité de Meyrin compte aussi des Suisses pauvres, qui font face à des problèmes depuis plusieurs générations. Ils se situent en-dessous de la classe moyenne inférieure et leurs manques sont d’abord cultu- rels. Il y a un travail à faire auprès d’eux, en lien notamment avec des associations. Par exemple, je suis en contact avec une personne qui a grandi dans une famille où il y avait de l’alcoolisme et une grande précarité. Je l’ai invitée au Mouve- ment populaire des familles. Je lui ai donné des textes, qu’elle avait de la peine à comprendre au début. Aujourd’hui, elle est membre du comité de la section genevoise du mouvement. C’est un engagement sur des années. Le travail en réseau, avec les associations locales, les autres lieux FASe, la culture, la commune, est donc crucial. La MQ en elle-même ne représente qu’une partie d’un travail global réalisé en profondeur. «L’ANIMATION SOCIOCULTURELLE NÉCESSITE D’AVOIR UNE VISION POLITIQUE» Animateur à la Maison Vaudagne depuis 2009, Yves Mesot a trouvé sa vocation à l’ado- lescence en entraînant des jeunes au football et en s’engageant dans l’animation jeunesse dans le cadre d’une paroisse. Membre du Mouvement populaire des familles et proche d’ATD Quart Monde, il défend une animation au service des plus défavorisé-e-s. Entretien. VOUS CÔTOYEZ DES STAGIAIRES EN ANIMATION SOCIOCULTURELLE. QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR EUX? D’AILLEURS, PENSEZ-VOUS QUE L’ANIMATION S’APPRENNE? Il y a des jeunes qui ont déjà fait de l’animation, qui ont travaillé dans le communautaire. Ceux-ci accèderont à des outils qu’ils mettront en œuvre. Il y en a d’autres qui sont intéressés par cette carrière, mais qui n’ont pas cette expérience. Il faudra leur expliquer ce que veut dire «commu- nauté», par exemple. Il y a enfin des personnes qui ont fait des bêtises à un moment de leur vie et qui pourraient faire de bons animateurs ou ani- matrices. Le système a plus de peine aujourd’hui à intégrer ces rebelles, car les institutions se protègent, ce qui est compréhensible. Quand je parle à des stagiaires, je leur dis qu’il faut qu’ils comprennent dans quel jeu ils se trouvent. «Si tu es riche, pourquoi veux-tu faire quelque chose pour les pauvres ? Si tu es pauvre, comment vas- tu t’en sortir avec les autres ? ». Voilà des ques- tions importantes. DONC ON EST ANIMATEUR OU ANIMATRICE AVANT MÊME D’AVOIR SON DIPLÔME? En tout cas, l’animation est mon histoire. Très jeune, je me suis senti bien dans ma capacité à apporter des choses aux gens, par pour eux, mais avec eux. Ce dernier point montre d’ailleurs que l’animation socioculturelle constitue quelque chose de précis. Je ne suis pas éducateur, ni thé- rapeute, je mets des gens en relation. QU’IMPLIQUE CETTE VISION D’UN MÉTIER COMME UNE VOCATION DANS LE TRAVAIL DES MAISONS DE QUARTIER? Pour moi, cela veut dire par exemple qu’une MQ doit ouvrir le week-end. Si ce n’est pas le cas, cela signifie que le professionnel ne comprend pas son métier. Si on propose un évènement, je dis, « faisons cela un dimanche, car il y aura du monde et les gens auront du temps pour causer ». Si tu es passionné par ton travail, tu préféreras ce jour à un samedi, où les familles courent dans tous les sens pour faire leurs courses. © Anne Colliard «Si tu es riche, pourquoi veux-tu faire quelque chose pour les pauvres ? Si tu es pauvre, comment vas-tu t’en sortir avec les autres ? ». Yves Mesot

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